L’élaboration
d’une grammaire pédagogique
à
partir de corpus :
l’exemple
du subjonctif
Dirk Siepmann &
Christoph Bürgel (Osnabrück, Allemagne)
Résumé
Cette
contribution, basée sur le
corpus
de référence du français contemporain
(CRFC), a pour objectif de relancer le débat sur la grammaire
pédagogique en proposant une approche lexico-grammaticale des usages
effectifs du subjonctif. On établit d’abord une liste de critères
qui pourraient guider les auteurs de grammaires pédagogiques.
Ensuite, on présente la composition du CRFC et les supports sur
lesquels s’appuie l’analyse du corpus. Enfin, on illustre
l’intérêt que peuvent revêtir les données fréquentielles
pour une grammaire à registres et on passe en revue un certain
nombre d’usages du subjonctif dont les grammaires actuelles ne
rendent pas compte.
1
Introduction
La
grammaire a connu, au cours de l’histoire de la didactique des
langues, une évolution marquée par de nombreux tourments et
revirements. Érigée au XIXe
siècle au rang de méthode toute puissante, abaissée par le Cadre
européen de référence à celui beaucoup plus modeste d’outil au
service de la compétence communicative, elle est aujourd’hui
appelée à réoccuper le devant de la scène sous la forme d’une
« grammaire lexicalisée ». Cette nouvelle approche de la
grammaire, qui met l’accent sur l’étroite imbrication
de celle-ci avec le lexique, a déjà fait ses preuves outre-Manche,
comme en témoignent de nombreux ouvrages issus du projet COBUILD
(p.ex. Sinclair 1990). Le retard pris par la France dans ce domaine
est dû principalement au manque de corpus informatisés du
français, mais également à la priorité accordée dans l’Hexagone
aux grammaires théoriques.
Nous
espérons montrer comment le projet de
constitution
d’un corpus de référence du français peut contribuer à remédier
à cet
état de fait. Ce faisant, nous poursuivons deux objectifs.
Premièrement, nous souhaitons relancer le débat sur la grammaire
pédagogique en proposant un certain nombre de critères auxquels
doit satisfaire un tel ouvrage. Deuxièmement, nous illustrerons
l’approche « lexico-grammaticale » en rendant compte de
quelques travaux ponctuels effectués à partir de notre corpus de
référence, dans le but de faire avancer les connaissances sur les
usages effectifs du subjonctif.
2
Nouvelles approches en sciences du langage et grammaire pédagogique
Dans
son ouvrage magistral sur la grammaire pédagogique à l’usage des
apprenants de langues étrangères (Fremdsprachengrammatik),
Kleineidam (1986 : 13ff) résume le dilemme auquel est confronté
l’auteur d’un tel ouvrage : d’une part, étant donné les
logiques épistémiques différentes auxquelles obéissent les
sciences du langage et les recherches sur
l’enseignement-apprentissage des langues étrangères, il est
inconcevable de transposer directement les théories des linguistes à
la didactique ; d’autre part, les recherches sur le processus
d’appropriation des langues étrangères sont insuffisantes pour
permettre la conception d’une grammaire pédagogique exhaustive
« conforme aux besoins actuels » (Kleineidam 1986: 14).
Si ce constat reste grosso
modo
valable aujourd’hui, il doit cependant être nuancé sur deux
points. Premièrement, un grand nombre de travaux acquisitionnistes
nous ont permis de mieux comprendre la multitude de facteurs qui
influent sur le processus d’appropriation et de dégager des
itinéraires de développement grammatical communs à la majorité
des apprenants d’une langue donnée (voir, pour le français,
Bartning et Schlyter 2004 ; Véronique 1995). Ces travaux sont
d’un intérêt indéniable pour les concepteurs de programmes
scolaires et de référentiels destinés aux apprenants de niveau
débutant
et intermédiaire, mais force est de constater que l’approche par
compétences qui domine
l’enseignement des langues en Europe n’en tient pas compte pour
l’instant. De plus, comme le souligne également Kleineidam (1986:
13), la structure d’une grammaire exhaustive du français langue
étrangère, qui s’adresse à tous les niveaux d’apprentissage,
ne peut
se calquer sur la
progression linguistique de l’apprenant, d’autant que celle-ci
n’est encore que vaguement définie (Beacco 2010).
Ceci
nous amène à notre deuxième point. Si une mise en pratique directe
des théories linguistiques reste exclue, ne serait-ce que pour des
raisons terminologiques, il est bon de rappeler que le centre de
gravité de la linguistique, longtemps constitué par le rationalisme
d’obédience chomskyenne, s’est de nouveau déplacé vers
l’empirisme et les données authentiques. Le contextualisme
britannique, les recherches lexicales distributionnelles menées en
France et, dans leur sillage,
la grammaire de construction, ont apporté une vision nouvelle du
langage, en abandonnant la distinction entre une grammaire composée
de règles et un lexique composé de mots et de locutions. Selon ces
approches, le langage se compose au contraire de séquences
lexico-grammaticales dont la structure interne est fixée à
différents degrés par la communauté linguistique ; tout y est
idiomatique, pour reprendre l’heureuse expression de Hausmann
(1997).
Bien
que les tenants du contextualisme et de la grammaire de construction
continuent à s’ignorer mutuellement, il paraît impossible de nier
les affinités qui autorisent le rapprochement entre certains de
leurs courants, tels que le « pattern grammar » de
Hunston et Francis (2000) et les « collostructions » de
Stefanowitsch & Gries (2003). Alors que les premiers partent des
lexèmes individuels (p.ex. give)
pour arriver aux schèmes actanciels abstraits, les seconds
empruntent le chemin inverse, en partant de constructions à
caractère général telles que la construction ditransitive (V + GN
+ GN) pour voir quel lexique s’y associe. Ces approches (ainsi que
d’autres comme Feilke 1994 et 1996) font du phénomène
phraséologique, jusqu’ici marginalisé dans la théorie
linguistique, le principe central du fonctionnement de la langue,
caractérisant la compétence langagière comme une « compétence
de sens commun » qui se fonde sur des sélections théoriquement
possibles et confirmées par les acteurs sociaux. De plus, ces
approches ont en commun de coller à la surface de la langue, sans
faire appel à une quelconque structure profonde, ce qui est l’un
des critères principaux retenus par Kleineidam (1986) pour la
conception de grammaires pédagogiques.
On
reconnaîtra de la sorte que les avancées récentes de la
linguistique permettent de refonder la grammaire pédagogique
sur de nouvelles bases, comme l’avait appelé de ses vœux Siepmann
dès son article de 1999. Il nous reste, à présent, à définir les
critères qui pourraient nous guider dans nos choix pédagogiques et
que Kleineidam (1986 : 16ff.) avait déjà développés, pour
certains d’entre eux. La grammaire pédagogique sera
- une grammaire à resultats, en ce sens qu’elle présente une description ordonnée des faits de langue sans problématiser le cheminement de recherche ayant abouti à cette description ;
- une grammaire normative qui opére une distinction entre l’oral et l’écrit en s’écartant de la norme littéraire traditionnelle ; la norme doit être établie à partir de corpus (voir 3.) ;
- une grammaire de surface qui présentera, autant que faire se peut, des structures de surface ;
- une grammaire à registres (à genres) qui recense les usages effectifs que font les locuteurs d’une langue dans différentes situations langagières ;
- une grammaire fondée sur corpus qui accorde la priorité absolue aux exemples authentiques présentés dans leur contexte sémantique (voir Sinclair 1990 pour plus de développements sur ce point) ;
- une grammaire à classes lexico-syntaxiques qui associe chaque structure syntaxique aux mots ou aux groupes de mots qui y apparaissent régulièrement ; ainsi, pour ne prendre qu’un seul exemple, la structure « avec + ce / cet / cette + groupe nominal + que + complétive » ne se combine qu’avec les noms avantage, différence, inconvénient, nuance, particularité, réserve, etc. Elle sert à apporter, au moyen de la complétive qui la suit, un commentaire ou une précision à ce qui vient d’être dit (Siepmann 1999) ;
- une grammaire fréquentielle et distributionnelle qui précise la fréquence de chaque structure et la distribution de celle-ci dans différents genres (Biber et al. 1999) ;
- une grammaire comparée qui confronte le français et la langue maternelle des apprenants dans un ou plusieurs domaines pour attirer l’attention de ces derniers sur les divergences ou les ressemblances interlinguistiques qui constituent une source fréquente d’erreurs ;
- une grammaire qui utilise une terminologie scientifiquement adéquate (Tinnefeld 2014) ;
Nous
illustrerons certains de ces critères à l’aide du phénomène du
subjonctif, pour lequel nous présenterons quelques résultats dans
la section 4.
3
Corpus et méthodes
L’élaboration
d’une grammaire pédagogique qui recense les différents usages du
français présuppose l’existence d’un corpus de référence
échantillonné en genres. Or, « pour l’instant, les corpus
de français restent limités et souvent dédiés à un genre
spécifique » (Deulofeu & Debaisieux 2012 : 44) et peu
de ressources sont en accès libre. Pour remédier à ces carences,
nous avons mis en chantier un projet de constitution d’un corpus
comportant 310 millions de mots et couvrant l’essentiel des usages
du français contemporain sur une période comprise entre 1945 et
2014. Ce corpus se distingue des corpus existants sur plusieurs
points :
- Il s’agit du plus grand corpus qui ne soit pas entièrement basé sur des données téléchargées sur Internet.
- Ce corpus regroupe des collections de textes assez hétérogènes entre elles.
- C’est le premier corpus de français à intégrer une quantité importante de données orales (25 millions de mots) et de données « pseudo-orales » (théâtre, forums de discussion, SMS ; 90 millions de mots).
- Une partie du corpus deviendra un corpus de suivi (monitor corpus) qui sera régulièrement mis à jour à partir de 2014.
La
composition de ce corpus est largement calquée sur les deux grands
corpus de référence de l’anglais, le
British National Corpus
et le
Corpus of Contemporary American English,
avec cette particularité que la diversité des genres rassemblés
dans le Corpus
de Référence du français contemporain
(CRFC)
est plus grande que dans tout autre corpus.
L’objectif est d’atteindre un certain degré de représentativité
et d’équilibre, même si cela constitue un idéal statistique
qui, comme l’ont montré Atkins et al. (1992) et Evert (2006), ne
peut s’appliquer au langage naturel.
Par
ailleurs, le CRFC est le premier corpus à associer, en proportion
égale, des sources orales et pseudo-orales d’une part et des
sources écrites d’autre part, créant ainsi un équilibre entre
contrôle et naturel. Le tableau 1 montre la composition du CRFC:
- SectionTailleoralformel30 minformel30 mpseudo-oralpièces de théâtre et scénarios de films30 msous-titres de films et de feuilletons télévisés2,5 mSMS/chat2,5 mforums de discussion60 m155 mécritécrits scientifiques et techniques30 mautres textes non-littéraires30 mromans, nouvelles et contes30 mjournaux45 mrevues10 mjournaux intimes et blogs5 mlettres et courriels1 mtextes divers4 m155 m
Tableau 1: Composition
du CRFC
On
notera en particulier la grande taille de la partie orale informelle,
domaine où on devait jusqu’à présent se contenter de corpus de
taille limitée et représentant une gamme peu diversifiée de
situations langagières (principalement des interviews ;
Debaisieux 2010, Gadet et al. 2012 : 1-2). 75 pour cent du
corpus est constitué de transcriptions de dialogues ou de monologues
spontanés provenant d'environ 200 types d’émissions
télévisées différentes diffusées par les chaînes françaises
France
2,
France
3
et France
5 en
2013 et 2014, soit plus de 8000 émissions et plus de 3000 heures de
parole spontanée. Nous avons fait le choix conscient de transcrire
une année entière d’émissions afin d’éviter un biais qui
serait dû à la surreprésentation de certains jours de la semaine
ou de certaines époques de l’année (Kennedy 1998: 75). Le corpus
réunit débats-spectacles du type Toute
une histoire,
émissions politiques telles que C’est
à dire,
jeux culinaires comme Dans
la peau d’un chef,
diverses émissions sportives et scientifiques ainsi que des
documentaires sur des sujets variés,
pour ne citer que quelques exemples.
Le
choix de la langue de la télévision nous paraît presque aller de
soi. Comme l’a fait remarquer Meißner (2006: 248-249) en réponse
à la question de savoir ‘quel français enseigner?’, la
télévision fixe depuis longtemps la norme statistique en nous
faisant entendre d’innombrables idiolectes et variétés
linguistiques de telle façon que ceux-ci peuvent être compris par
la grande majorité des téléspectateurs dans les zones
linguistiques et de radiodiffusion concernées. Il s’ensuit que les
auteurs de corpus peuvent prendre les variétés linguistiques
parlées dans l’audio-visuel comme point de référence pour la
constitution de corpus oraux et l’élaboration de matériel
pédagogique. Le recours aux données télévisuelles est d’ailleurs
inévitable lorsqu’il s’agit de rassembler un corpus bien
échantillonné et de fort volume. Comme le souligne Davies, ce type
de données représente assez fidèlement la parole spontanée telle
qu’on l’entend dans la vie de tous les jours
(http://corpus.byu.edu/coca/).
Pour
les besoins de la présente étude, une partie du corpus a été
lemmatisée et étiquetée à l’aide de French
tree tagger
(Stein 2003). L’ensemble du corpus, étiqueté et arboré, sera mis
dans le domaine public sur la plateforme Primestat
mis au point par Sascha Diwersy à l’issue d’un délai de
quelques années. L’analyse du corpus s’est appuyée sur la
plateforme Sketchengine
et le logiciel WordSmith.
Nous renvoyons pour plus de détails à Siepmann (à paraître).
4
Résultats et discussion
Cette
section se divise en trois parties. Une première partie tente
d’illustrer l’intérêt que peuvent revêtir les données
fréquentielles pour une grammaire à registres en fournissant
quelques exemples de résultats pour le phénomène du subjonctif.
Nous présenterons
dans une deuxième section des usages effectifs du subjonctif dont
les grammaires actuelles ne rendent pas compte. La troisième section
est consacrée à des (ré-)analyses, soutenues par l’intervention
de données de corpus, d’éléments lexicaux qui entraînent le
subjonctif.
4.1
Fréquence d’apparition du subjonctif dans différents genres
Nous
avons vu que le CRFC se scinde
en de nombreuses sous-catégories, ce qui nous permet de chiffrer
l’écart de fréquence qui sépare ces catégories quant à
l’emploi du subjonctif. Ainsi, à l’intérieur des catégories
langue parlée formelle,
langue parlée informelle,
forums de discussion
et lettres,
le subjonctif apparaît avec une fréquence moyenne d’environ 2000
occurrences par million de mots, alors que l’indicatif est en
moyenne 31 fois plus fréquent. Le tableau 2 montre la répartition
par genre :
- GenreSubjonctif présent (occurrences par million de mots)Indicatif présent (occurrences par million de mots)Rapport subjonctif / indicatifOral informel994,573908,11/74Oral formel2875,965747,31/22Forums de discussion1855,165093,41/35Lettres220547559,91/21
Tableau 2 :
Répartition du subjonctif et de l’indicatif dans quatre genres
différents
D’emblée,
une constatation
s’impose : le subjonctif n’est pas mort, loin de là. En
traduisant ces chiffres en réalités plus concrètes, on peut dire
que le subjonctif s’emploie à peu près toutes les huit minutes
dans la conversation courante et toutes les huit phrases dans les
lettres. On voit néanmoins que la répartition manque de
parallélisme : le subjonctif apparaît avec une fréquence deux
fois moindre dans la langue parlée informelle par rapport au genre
écrit (ou « pseudo-oral », selon notre terminologie) que
l’on peut supposer le plus « relâché » (mis à part
les SMS), à savoir les forums de discussion.
Si
nous considérons maintenant les dix lemmes les plus fréquents
entraînant le subjonctif dans deux genres différents (la
langue parlée informelle et les lettres), il est aisé de comprendre
l’intérêt de ce que nous avons appelé la grammaire « à
registres ». En effet, aussi surprenant que cela puisse
paraître, il n’y a que deux éléments « déclencheurs »
qui soient partagés par les deux genres, à savoir pour
que
et quoi
que (ce soit / je fasse etc.).
D’où l’importance, pour toute grammaire pédagogique du FLE, de
spécifier les constructions qui intéressent le locuteur non-natif
en fonction du genre qu’il souhaite
s’approprier ou,
plus modestement,
d’établir une
distinction entre genres plutôt formels et genres plutôt informels.
- Oral informelLettres1falloirquoi que2vouloirafin que3pour quenécessaire4le fait quequel que5faire (en sorte) quesouhaiter6s’attendre à ce que / attendre quepour que7pas sûrsans que8quoi que (ce soit / je fasse)avoir besoin que9avant quesembler10comprendrequi (pronom relatif)
Tableau 3: Lexies
entraînant le subjonctif par ordre de fréquence dans deux genres
Ce
que nous venons de constater à propos des lemmes peut être étendu
aux mots-formes. Comparons cette fois la langue parlée informelle et
la langue parlée formelle (discours,
débats
parlementaires,
langage
universitaire).
L’oral spontané parlé dans la vie de tous les jours se
caractérise par une prédominance des formes des première et
troisième personnes du singulier. Parmi les dix formes les plus
fréquentes se détachent les verbes falloir
et vouloir,
concurrencés uniquement par (j’)aimerais
et (je) comprends.
Ici encore, la variété plus formelle offre une plus large gamme de
formes, y compris l’infinitif faire
en sorte que,
les relatives précédées de l’adjectif seul
et la conjonction pour
que.
À noter que la prise en compte des mots-formes présente un grand
intérêt pédagogique, dans la mesure où il est tout indiqué
de faire travailler les apprenants sur les formes qui leur seront les
plus utiles en situation de communication. Concrètement, comprendre
+
subjonctif, par exemple, devrait se travailler d’abord et avant
tout à la première personne du singulier.
- Oral informelOral formel1fautfaut2veuxsouhaite3fallaitveux4faudraitfaire (en sorte que)5voulaitquoi que6aimeraisquelque … que7comprendsseul8veutpour que9fallupropose10voudraisnormal
Tableau
4: Mots-formes entraînant le subjonctif par ordre de fréquence
dans
deux genres
Lorsqu’on
dispose de ce genre de données fréquentielles, on peut aller
jusqu’à se demander si les manuels scolaires donnent une image
fidèle des réalités langagières. Un échantillonnage aléatoire
portant sur les 20 éléments déclencheurs du subjonctif les
plus fréquents dans la langue parlée informelle donne à penser
qu’il n’en est rien : dans le manuel de français le plus
répandu en Allemagne (Découvertes),
on n’en retrouve que six. Autant dire que ce manuel laisse de côté
de larges pans
de l’usage du subjonctif à l’oral, tels que l’emploi avec des
conjonctions (pour que,
avant que,
sans que),
l’expression de la possibilité (possible)
et du doute (pas sûr),
l’utilisation avec des noms (fait)
et l’utilisation dans les relatives (notamment après seul).
Si
nous passons à la répartition des différents usages du subjonctif
dans l’oral spontané selon les types d’éléments lexicaux
déclencheurs, il est frappant de constater que, sur un échantillon
pris au hasard de 180 éléments, plus du tiers des usages relève de
l’expression de la nécessité ou d’une opinion, alors qu’un
très faible pourcentage se rattache au domaine de l’émotion,
souvent privilégié par les ouvrages didactiques:
Fig. 1 :
Répartition du subjonctif selon les types d’éléments
déclencheurs
Ce
rapide aperçu nous semble montrer assez clairement que la grammaire
pédagogique du FLE bénéficiera d’une prise en compte de données
fréquentielles, car celles-ci permettent de satisfaire aux
postulats d’objectivité scientifique et d’utilité
pédagogique.
4.2
Carences des grammaires en matière de description des usages du
subjonctif
Cette
section vise à montrer que la prise en compte des données du CRFC,
notamment celles provenant de la partie orale du corpus, facilite
l’accès à des connaissances nouvelles et oblige à revenir sur la
description du subjonctif fournie par les grammaires actuelles, tant
scolaires et universitaires que théoriques. Nous nous limitons
ici à une série d’éclairages ponctuels sur divers points de
grammaire qui mériteraient des approfondissements dans des articles
ultérieurs.
Examinons
en premier lieu quelques spécificités de l’oral qui, par la force
des choses, sont encore complètement absentes des grammaires
courantes du français. Celles-ci sont au nombre de huit.
4.3
Coordination d’une proposition infinitive et d’une complétive
en que suivi
du subjonctif
Ces
constructions orales, en écart par rapport à la norme écrite, sont
de deux types distincts :
a)
la coordination d’une proposition infinitive en de
et d’une complétive introduite par que,
toutes les deux étant sous la dépendance du même nom:
(1)
J‘aimais bien
l‘idée de
laisser un produit quelque part et
qu‘une
personne vienne
et le demande gratuitement. (CRFC)
b)
la coordination d’une proposition infinitive en pour
et d’une proposition amenée par que,
dans laquelle que est
synonyme de pour que:
(2) Ça bouge le larynx
et la trachée pour
ne pas faire fausse route et
que ça descende
bien … (CRFC)
4.4
faire que
suivi du subjonctif
Cet
emploi est curieusement absent des grammaires et des dictionnaires (à
l’exception du dictionnaire de valence de Busse & Dubost 1983),
qui ne répertorient que l’emploi causal de faire
avec l’indicatif (3). Pourtant, le subjonctif après faire
est d’un usage courant dans tous les registres de l’oral (4 et
5).
(3) Sa négligence a
fait qu‘il a perdu
beaucoup d‘argent. (Petit Robert, s.v. faire)
(4) Ça permet aussi de
faire que la confiture ne soit
pas trop liquide. (CRFC)
(5) Je me présente à
Pau, j'essaierai de faire qu'il y ait
autour de moi toutes les sensibilités républicaines de la ville.
(CRFC)
4.5
Éléments lexicaux spécifiques à l’oral et entraînant le
subjonctif
Alors
que les grammaires scolaires et universitaires prêtent une attention
extrême à certains usages rares du subjonctif (voir la section
suivante), elles font peu de cas des éléments lexicaux qui
entraînent le subjonctif dans la langue parlée. En voici quelques
exemples:
c‘est
+ ADJ (au lieu de il
est);
je m‘en fous; sympa; marrant; bien; pas mal; ça me fait chier; ça
+ me
+ étonner / inquiéter / faire plaisir…; je trouve ça
ADJ;
il y a des chances / peu de chances …; fais / faites gaffe /
attention; pour pas / plus que (= pour que … ne … pas/plus)
4.6
Séquences figées
Les
séquences figées qui exigent l’emploi du subjonctif sont légion.
On peut donc déplorer le manque d’informations les concernant dans
les grammaires courantes. En voici certains exemples:
Que les choses soient
claires.
Qu‘on se le dise.
Que je sache.
Qu‘à cela ne tienne.
Qu‘il pleuve ou qu‘il
neige.
C‘est le moins qu‘on
puisse dire.
N‘en déplaise à X.
C’est pas une raison
pour que …
il ferait beau voir que
… (= il serait déplacé / inconvenant que)
il n’y pas de danger
que …
4.7 L’emploi du subjonctif dans un message isolé mais syntaxiquement dépendant
On
connaît le phénomène des chevauchements de parole entre différents
locuteurs (6) ou impliquant le même locuteur (7), souvent dans un
jeu de questions et de réponses. Ces chevauchements font qu’à
l’oral, l’emploi du subjonctif ne se limite pas aux seules
complétives amenées par que:
(6) Ça fait peur ?
Oui, que mon fils puisse … (CRFC)
(7) Tu veux quoi? Que
je fasse la majorette ? (CRFC)
4.8
Fonctions spécifiques de que
à l’oral
Que
remplit plusieurs fonctions spécifiques à l’oral, qui se laissent
répartir en quatre groupes :
a)
que
à valeur volitive:
(8) Qu’est-ce qu’il
reste à améliorer ? Des petites choses, des petits accessoires
à mettre, des boucles d’oreilles, qu’elle le fasse
naturellement, que je lui dise pas qu’il manque quelque chose …
(CRFC)
b)
que
à valeur alternative:
(9)
Que vous ayez fait ce test ou non, les médecins recommandent de ne
pas prendre d'ibuprofène en cas de mal de gorge.
(10) Aux Etats-Unis, le
showbiz est vraiment la culture, que ce soit sur le plan
cinémato-graphique, de la danse, des spectacles … (CRFC)
c)
que
remplaçant pour que:
(11) Vous la renvoyez,
que l'on < puisse > jouer avec. (CRFC)
(12) Remue bien, que
les pommes < soient > couvertes de sucre. (CRFC)
(13) Soulève-moi ça
que je < sente >. (CRFC)
(14) File-moi ton poing
dans la figure, qu’on en < finisse >. (CRFC)
d)
que remplaçant trop/assez
… que:
(15) J’ai passé
l’âge qu’on me dise … (CRFC)
4.9
Valeur causative
Il
est bien connu que les grammaires scolaires et universitaires du FLE
regroupent par classes sémantiques les mots et expressions
conditionnant le subjonctif. Comme nous avons pu le constater, il y
est souvent question de l’expression d’une volonté, d’un
sentiment, de la probabilité, etc. De l’analyse de notre corpus se
dégage cependant une lacune sérieuse de ces classements, qui
concerne les verbes causatifs. Cette catégorie verbale se trouve
aussi bien à l’oral qu’à l’écrit. Nous en avons déjà vu un
exemple avec faire,
mais cette catégorie accueille de nombreux autres verbes, dont
certains, comme essayer,
ne s’emploient qu’à l’oral ; comme on le sait, le
subjonctif apparaît d’ailleurs systématiquement avec les verbes
susceptibles d’une construction avec à
ce que. Prenons
rapidement quelques exemples:
faire / faire en sorte
que / éviter que / essayer que / commander que / imposer que /
(s‘)expliquer que / comment se fait-il (cela se fait) que / il
arrive que / il se produit que
V
+ GN + à ce que:
forcer qqn à ce que /
provoquer qqn à ce que / disposer qqn à ce que / déterminer qqn à
ce que / aider qqn à ce que / …
V
+ à ce que:
faire attention à ce
que / veiller à ce que / pourvoir à ce que / …
4.10
Conjonctions
Les
grammaires universitaires dressent souvent des listes de conjonctions
suivies du subjonctif. Il serait utile d’y ajouter un certain
nombre d’éléments qui s’emploient couramment à l’oral, comme
le temps que (16),
(pour) autant que
(17) et plutôt que (18):
(16)
Le
temps que l’on ait une idée, qu’on écrive un scénario, qu’il
soit financé, on est déjà à 1 ou 2 ans, le temps qu’il sorte,
c’est 3 ans. (CRFC)
(17a)
On
passe quand même plusieurs heures par jour au bureau, autant que ce
soit agréable à vivre ! (= il faut au moins que) (CRFC)
(17b)
Mais
… il ne pouvait pas fuir éternellement. Alors autant que la
rencontre se fasse selon ses règles, selon ses plans. (= il fallait
au moins que) (CRFC)
(17c)
Ce
logiciel vous permet de recevoir des chaînes câblées numériques,
pour autant que le module prenne en charge l'émetteur choisi. (= à
condition que) (CRFC)
(18) Donc j'essaye de
faire en sorte de maîtriser mon destin, j'essaye de commander ma
vie, plutôt que ce soit l'inverse. (CRFC)
Pour
clore cette section, signalons deux autres problèmes qui sont en
rapport étroit avec l’emploi du subjonctif : la
complémentation et la question des listes d’éléments lexicaux.
Le
choix entre proposition infinitive et complétive comme complément
verbal, nominal ou adjectival pose pour l’apprenant de FLE de
réelles difficultés, ce qui amène parfois les grammairiens à
proposer des règles trop rigides qui peuvent s’avérer plus
néfastes qu’utiles. Ainsi, Dethloff & Wagner posent en règle
générale que
les
verbes de sentiment et d’opinion ne peuvent être suivis d’une
complétive qu’à condition que la principale et la complétive en
que
comportent les mêmes sujets. En cas de coréférence des sujets, la
construction infinitive s’impose. (Dethloff
& Wagner 2002 : 357;
c’est nous qui traduisons1)
Un
bref sondage du CRFC montre cependant que cette règle souffre des
exceptions. D’une part, on trouve un certain nombre de
contre-exemples (19) :
(19) ↓↓je crains
que je sois diabétique vs. ↑↑Je crains d‘être somnambule / je
crains de faire un malaise durant le vol
d’autre
part, l’infinitive se rencontre également lorsqu’il y a
coréférence entre le sujet de la complétive et le complément
d’objet du verbe de la principale (20) plutôt que le sujet de la
principale:
(20) ↓j‘admire que
vous soyez aussi courageux vs. ↑je vous admire d‘être aussi
courageux
Ce
domaine, semé de redoutables embûches, mérite plus ample
exploration dans un article à part, notamment en ce qui concerne les
fréquences des constructions en question avec différents mots
recteurs (ou « prédicats »).
De
façon plus générale, on peut se demander s’il est opportun de
vouloir saisir le phénomène du subjonctif en dressant des listes
d’éléments lexicaux qui conditionnent son emploi, d’autant plus
que ces listes se limitent en règle générale aux verbes et aux
adjectifs. Force est d’admettre que la langue réelle met en œuvre
une plus grande variété de moyens expressifs déclencheurs du
subjonctif que ne le suggèrent les grammaires actuelles. Ainsi, on
rencontre les éléments complexes suivants qui expriment une
opinion :
je n‘en ai rien à
faire que
c‘est pas la peine
que
c‘est un progrès que
mériter que
l‘idéal serait que /
l' idéal, ce serait que
Nous
reviendrons sur cette question dans les sections suivantes afin de
proposer une solution de rechange partielle à la présentation
classique du subjonctif.
4.11
(Ré-)Analyse d'éléments lexicaux entraînant le subjonctif
Comme
nous l’avons dit précédemment, les grammaires actuelles du FLE,
tant scolaires qu'universitaires, regroupent par catégories
sémantiques les mots et expressions déclenchant le subjonctif
(volonté,
sentiment,
probabilité
etc.) en se limitant, en règle générale, aux verbes et adjectifs,
qui sont consignés dans des listes parfois assez longues. Cette
présentation du subjonctif pose au moins deux problèmes manifestes:
- Les listes en question donnent la fausse impression que les éléments lexicaux y figurant sont d’égale fréquence à l’écrit et à l’oral;
- Elles ne prennent pas en compte les groupes nominaux et encore moins les constructions plus ou moins complexes suivies du subjonctif.
C'est
pour cette raison que nous proposons dans cette section une solution
de rechange partielle à cette présentation du subjonctif en prenant
appui sur deux corpus (le CRFC et le FrTenTen12, disponible sur la
plateforme Sketchengine).
Commençons
par l’exemple des verbes regroupés dans la catégorie de la
volonté par Dethloff & Wagner (2007: 353-354). Le tableau
suivant en fournit un premier inventaire, limité au nombre
d’occurrences trouvées pour chaque verbe étudié dans les données
orales « télévisuelles » du CRFC (Tableau 5).
Rien
d’étonnant à ce que le verbe falloir
que apparaisse comme le
plus fréquent des verbes étudiés, suivi par vouloir
que. Plus intéressante
est la faible fréquence des verbes détester
que, approuver que, désirer que, s'opposer à ce que.
Les verbes consentir à ce
que, défendre que, désapprouver que
et tolérer que
ne figurent pas dans cette partie du CRFC. Au vu de ces données, il
paraît donc justifié de procéder à un reclassement des verbes et
adjectifs déclencheurs par leur fréquence d’emploi afin de
permettre aux apprenants de les apprendre selon leur importance dans
la communication.
Mais
comment traiter les verbes qui relèvent de plusieurs catégories
sémantiques ? Prenons à titre d'exemple le verbe comprendre,
qualifié de « cas particulier » par Confais (1980: 62)
et Dethloff & Wagner (2007: 384) et généralement décrit comme
revêtissant deux acceptions. L'indicatif est de mise dans le cas de
la compréhension intellectuelle (C'est
alors que j'ai compris qu'il était
trop tard),
tandis que le subjonctif s’emploie dans le cas de la compréhension
affective : Je comprends qu'il n'ait
pas envie de
rester seul. (=
Il est compréhensible qu'il n'ait pas envie de rester seul).
Selon Dethloff & Wagner, le sens affectif de comprendre
que serait dominant
aux premières personnes du
singulier et du pluriel. Or, l'analyse du CRFC montre que je
comprends que s'emploie dans les trois quarts des cas avec le
subjonctif, tandis que nous comprenons que s'emploie dans 93% des cas
avec l’indicatif. Comment expliquer cette répartition des emplois
? Dans la vie de tous les jours, il est rare que l’on informe son
interlocuteur sur sa capacité intellectuelle à comprendre un état
de choses. Ce qui prédomine dans la communication au quotidien,
c’est la compréhension affective, au sens d'un commentaire sur un
état de choses, un comportement, une action ou une décision
d'autrui. Si la forme verbale nous comprenons que + subj. se
caractérise par une fréquence faible, c’est parce que les
émotions sont personnelles, c'est-à-dire qu’on ne peut pas parler
des émotions d’un autre à sa place. D’un point de vue
linguistique, au lieu de qualifier comprendre que de « cas
particulier », il serait plus adéquat de distinguer
deux lexies, à savoir
« comprendre » affectif et
« comprendre »
- VerbeFréquence d’apparition avec le subjonctifdans 55 millions de motsfalloir2398 (43,3 / Mill)vouloir929 (16,8 / Mill)attendre que232 (4,2 / Mill)aimer que180 (3,2 / Mill)souhaiter que93 (1,7/Mill)éviter que88 (1,6 / Mill)préférer que74 (1,3 / Mill)accepter que52 (0,9 / Mill)demander que42 (0,8 / Mill)refuser que26 (0,5/Mill)proposer que22 (0,4 / Mill)veiller à ce que18 (0,3 / Mill)exiger que14 (0,3/Mill)empêcher que14 (0,3/Mill)permettre que14 (0,3 / Mill)détester que2 (0,0 / Mill)approuver que1désirer que1s'opposer à ce que1consentir à ce que0défendre que0désapprouver que0tolérer que0
Tableau
5: Fréquence
du subjonctif avec les verbes de volonté
rationnel ;
en d'autres termes, comprendre
que relève
aussi bien de l'affectivité (→ subjonctif) que de la rationalité
(→ indicatif). L'emploi « rationnel » se rencontre dans
des constructions telles que faire
comprendre que + Indicatif
(21-22) et V
[causatif/exprimant une obligation] +
comprendre
que + Indicatif
(23-25):
(21)
Comment lui faire comprendre que c'est pas ça, l'amour? (FrTenTen12)
(22)
Cela vous fait comprendre que ce n'est pas du tout parfait.
(FrTenTen12)
(23)
J‘ai besoin de comprendre que tu es le grand amour (FrTenTen12)
(24)
Il faut comprendre que toute disparition est inquiétante
(FrTenTen12)
(25)
Il demande de comprendre qu‘il n‘y a pas une réponse unique
(FrTenTen12)
Le
verbe concevoir,
négligé
par les grammaires universitaires,
se
comporte comme le verbe comprendre.
Tandis que je
conçois
que s'emploie,
dans la plupart des cas, avec le subjonctif,
nous concevons que
se rencontre, en règle générale, avec l'indicatif:
(26)
Mais encore une fois, je conçois que cela puisse agacer
(FrTenTen12)
(27)
Je conçois que ce ne soit pas facile pour tout le monde
(FrTenTen12)
(28)
C'est ainsi que nous concevons que tout rêve peut devenir réalité
(FrTenTen12)
(29)
Nous concevons que certains sujets peuvent contenir des informations
plus personnelles (FrTenTen12)
Comme
pour comprendre,
il convient de distinguer les emplois affectifs et rationnels de
concevoir.
Étant
donné que le français contient une vaste gamme d’éléments
lexicaux conditionnant le subjonctif, il serait souhaitable de tenir
compte de constructions
plus ou moins complexes.
Un exemple nous est fourni par la catégorie de la « modalité
intellectuelle », proposée par Confais (1980: 62-63). Selon
lui,
l'indicatif
s’emploie lorsque le contenu de la complétive en que
est présenté comme étant sûr ou au moins probable (presque sûr).
Le subjonctif, lui, est de mise lorsque le contenu de la complétive
est présenté comme étant peu sûr. (Confais 1980: 62-63;
c'est nous qui traduisons2).
Il
est à noter pourtant que Confais se limite principalement aux
adjectifs qui se situent entre les deux pôles d’un continuum qu’il
nomme « sûr » (100%) (il
est vrai, certain, sûr)
et « exclu » (0%) (il
est impossible, impensable, faux, exclu, inexact).
Un examen à l’aide de FrTenTen12 montre que toute une série de
constructions se situent entre ces deux pôles :
Possibilité
- pouvoir + verbe + que + Sub
(30)
On
peut
penser que ce soit
effectivement
le cas. (FrTenTen12)
(31)
Il peut
apparaître
que des menus soient
en construction. (FrTenTen12)
(32)
Cela peut
expliquer que
le
premier ministre se
soit
lancé
dans l'aventure. (FrTenTen12)
(33)
Certaines personnes pourraient
considérer que
cela
soit
la
tricherie. (FrTenTen12)
(34)
Mais rien ne
peut
garantir que
l'euphorie
soit
éternelle.(FrTenTen12)
(35)
On pourrait
croire
que
l'auteur se soit
contenté d'exploiter la même recette. (FrTenTen12)
Faible
probabilité - doute :
- adjectif/nom [difficulté] + de/à + Infinitif + que + Sub :
(36)
Il
est difficile de
penser que l'information ne soit
pas soumise à ces différents enjeux économiques. (FrTenTen12)
(37)
On
peine à
croire que des Palestiniens puissent
tirer sur leurs frères. (FrTenTen12)
(38)
J'ai
du mal à
croire que ce soient
de
vrais commentaires. (FrTenTen12)
(39)
J'ai
quelque peine à
croire
que ces actions n'aient
pas été instrumentalisées par d'autres. (FrTenTen12)
(40)
La révélation sur vos origines remonte à bientôt trois ans mais
vous avez encore des
difficultés à accepter
que votre mère vous ait
caché cette vérité. (FrTenTen12)
- être loin de + Verbe/ + que + Sub (6-8) :
(41)
Je suis
loin de dire que je puisse
faire
tout cela. (FrTenTen12)
(42)
Elle est loin
de croire que ce soit dégradant
pour la femme. (FrTenTen12)
(43) Nous
sommes loin
de penser que cette impression se soit affaiblie.
(FrTenTen12)
(44) Je
suis loin de prétendre que cette conception soit
en contradiction avec celle de l'Éthique (FrTenTen12)
Cet
ensemble de données nous autorise à proposer une différenciation
interne de la modalité intellectuelle en fonction de différents
types de constructions. Ainsi, l'expression de la possibilité ne se
limite pas aux seuls adjectifs (fort,
possible)
ou aux tournures du type il
se peut que ;
s’y ajoutent un grand nombre de constructions bâties sur le modèle
pouvoir
+ verbe
+
que.
Idem pour la notion de « faible probabilité », qui peut
être exprimée par des constructions assez abstraites du type
adjectif
/ nom [difficulté] + à / de Infinitif + que et
celle de « non-existence », souvent réalisé par
être loin de + verbe
+
que.
Venons-en
maintenant à l’analyse d’une autre catégorie négligée par les
grammaires, à savoir les noms. Même si la plupart des grammaires
scolaires et universitaires présentent quelques groupes nominaux
déclenchant le subjonctif, tels que mon
désir que, ma volonté est que, de crainte que, avoir hâte que,
une classification systématique des groupes nominaux sous forme de
catégories sémantiques fait encore défaut. Voici une première
proposition qui vise à combler cette lacune:
- Catégorie sémantiqueType de constructionExemplesSentiment /EvaluationNoms [émotifs/évaluatifs] + que + SUB(45) il y a peu / plus de / des chances que /avoir les chances que / avoir de la chance que(46) c’est une coïncidence que(47) avoir la bonne idée que(48) l'envie que(49) le souci que(50) le regret que(51) la crainte que(52) la peur que(53) la déception que(54) la fierté quVolontéNOM [instruction] + que + SUB(55) C'est la règle que l'enfant suive la profession du père.(56) Il est de règle que le fils de bourgeois ait le droit de choisir.(57) Le Secrétariat a reçu pour instruction que des efforts soient faits afin d'augmenter la visibilité des Comités nationaux.(58) Je suis venu donné l‘ordre que le travail reprenne.(59) C‘est mon devoir que je vienne.(60) Le maintien de l’interdiction que lesentreprises puissent financer les partis.(61) C’est une obligation que tous les délinquants soient « libérés » ou « maintenus en liberté ».(62) Aujourd’hui, nous réitérons l’exigence que le régime syrien réponde immédiatement à ces appels du Conseil.(63) Ce, avec la lourde contrainte que l'ensemble du procédé soit protégé en écriture, interdisant toute possibilité de falsification des donnée recueillies.Doutenom [incertitude] + que + SUB(64) Vous courez le risque qu'elles soient moins élevées.(65) Il y a aussi le risque que ces assemblées soient noyautées par des partis.(66) Il y a un danger que le cinéma disparaisse.(67) J'ai des doutes que tu sois patron, maisbon.(68) Nous avons fait ce compromis sans garanties qu'ils soient fidèles à leurs engagements.Penséenom [prospectif] + que + SUB (possibilité)/ IND (fait)(69) La pensée que le petit garçon sachemieux que lui ce qui était bon pourJörgen le traversa.(70) Les poses similaires de Dieu et d'Adamreprésentent l'idée que l'homme ait étécréé à l'image de Dieu.(71) Il réfléchissait à la perspective queKakash réussisse à maîtriser une tellepuissance.(72) Il partage l'espoir que cette décisionpuisse ouvrir un nouveau cyclepolitique.(73) Dans l'attente que cette vérité soit enfinsue, je vous prie d'agréer, ExcellenceMonsieur le Président de laRépublique, l'expression de ma trèshaute considération.(74) Plusieurs scientifiques ont émisl'hypothèse que les Indiens Nazcasaient su inventer et réaliser des ballonsà air.(75) J’ai encore le soupçon que ces règlessoient surtout fixées par l’imagination.
Tableau
6: Constructions lexico-grammaticales déclenchant le subjonctif
Quant
à la catégorie de la pensée, on constate que le subjonctif
s’emploie lorsque
le nom prospectif se combine avec un verbe ou adjectif évaluatif ou
émotif:
Dans
ces constructions, c'est le verbe ou l'adjectif évaluatif ou émotif
qui déclenche le subjonctif, c'est-à-dire que le groupe nominal
assume la fonction de substitut.
Le
même phénomène se rencontre chez les verbes qui expriment la
négation en combinaison avec des noms prospectifs ou des concepts
mentaux:
Tous
ces exemples illustrent qu'il est insuffisant de vouloir saisir le
phénomène du subjonctif en se limitant aux mots isolés, tels que
les verbes et les adjectifs. Comme nous espérons l’avoir montré,
exemples authentiques à l’appui, il est de première importance de
tenir compte de toute une palette de constructions à base nominale
qui expriment la volonté, le doute, un sentiment, une opinion, etc.
5
Bilan et conclusion
Cet
article visait à montrer qu’il est possible de réhabiliter la
grammaire dans l’enseignement-apprentissage du FLE, à condition de
desserrer le carcan que nous imposent les grammaires traditionnelles.
L’approche que nous avons proposée reprend les travaux de
Kleineidam sur la grammaire pédagogique (grammaire normative,
grammaire de surface, grammaire à résultats, grammaire fondée sur
corpus) en y intégrant les acquis récents du contextualisme et de
la grammaire constructionnelle (grammaire à classes
lexico-syntaxiques, fréquentielle et distributionnelle). C’est
le phénomène du subjonctif qui nous a servi de banc d’essai à
cette nouvelle approche des faits de langue.
Au
terme de notre expérimentation, qui n’a aucune prétention
d’exhaustivité, plusieurs constatations s’imposent.
Premièrement, il est hautement souhaitable que les futures
grammaires du FLE fournissent des précisions sur la fréquence des
éléments lexicaux déclencheurs du subjonctif et cela, tant sur le
plan des lexies que sur celui des mots-formes. Ainsi, la forme je
comprends (pas) que
représente, à elle seule, la quasi-totalité des emplois oraux
informels du verbe comprendre
avec le subjonctif et elle constitue en même temps la septième
forme la plus usitée.
Deuxièmement,
il convient de procéder à un recensement systématique des emplois
oraux du subjonctif (c’est
sympa / marrant / bien que
+ subj., je m’en fous
que + subj.), qui
brillent encore par leur absence dans les grammaires courantes. Il va
sans dire que les résultats d’un tel recensement ne pourront être
reproduits tels quels dans les grammaires scolaires ou
universitaires ; les listes de mots entraînant le subjonctif,
loin d’atteindre l’exhaustivité, ne sauraient avoir qu’une
valeur indicative si l’on veut éviter de noyer les apprenants dans
la multitude d’informations disponibles.
Troisièmement,
plutôt que de se limiter aux verbes, aux adjectifs et aux
conjonctions, il serait intéressant d’enregistrer un certain
nombre de constructions plus complexes suivies du subjonctif, telles
que les constructions suivantes qui sont d’une certaine fréquence
dans la partie orale du CRFC :
j’en reviens pas que
ça m’étonnerait que
il manquerait plus que
j’angoisse à l’idée
que
ça te dérange que
ça nous fait très
plaisir que
En
intégrant ce genre de constructions, on fait d’une pierre deux
coups, étant donné que les verbes et noms qui, d’habitude, sont
présentés isolément, apparaissent ici dans leur voisinage naturel
et que cela favorise, chez les apprenants, une compréhension
« constructionnelle » du subjonctif : celui-ci se
rencontre, en effet, dans tous les cas où l’on emploie une
construction qui exprime un sentiment et la fait suivre d’une
complétive en que.
Il s’agit donc d’un appariement constant entre fonction et forme,
autrement dit, d’une construction. Cette approche
« constructionnelle » du subjonctif présente plusieurs
avantages :
- il n’y a plus besoin de listes excessivement longues;
- les soi-disants cas à part du type « comprendre » (affectif vs. rationnel) s’avèrent être deux constructions différentes;
- au lieu de mots isolés, l’apprenant rencontre des « mini-contextes » idiomatiques,
Un
quatrième point concerne le classement des différents usages du
subjonctif. Nous avons vu qu’il existe au moins une catégorie
d’emploi qui ne fait pas l’objet d’un traitement spécifique
dans les grammaires actuelles, à savoir la causativité. Celle-ci
englobe, elle aussi, un certain nombre d’emplois spécifiques à
l’oral, comme en témoigne le verbe essayer.
L’approche
lexico-grammaticale proposée paraît donc pertinente pour la
grammaire du FLE. Nous souhaitons à l’avenir explorer plus en
avant les pistes ouvertes ici, dans le but de mieux connaître
l’usage quotidien du français.
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CIRELA/ACCT,
Paris, 29-45.
1“Nach
den oben genannten Verben des Empfindens und der subjektiven
Bewertung kann nur dann ein que-Satz
+ subjonctif
folgen, wenn der einleitende Hauptsatz und der que-Satz
verschiedene
Subjekte
haben. Bei Subjektsgleichheit
wird eine Infinitivkonstruktion
erforderlich.“
2“Der
IND steht, wenn der Inhalt des que-Satzes als sicher
oder zumindest als wahrscheinlich (fast sicher
hingestelltwird. Der SUBJ steht, der Inhalt des que-Satzes
als nicht sicher hingestellt wird.”